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19 mars 1962, cessez-le-feu en Algérie: Ni paix, ni réconciliation

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Une fin de guerre mal gérée, voire bâclée. C’est ce que laisse présager la situation en Algérie où l’étoile du FLN est montée au firmament. Mais que cachent les accords d’Evian ? Et qu’en sortira-t-il pour la région maghrébine ? A ces interrogations tente de répondre, dans cette série d’articles, Pr Abderrahmane Mekkaoui, politologue.

Pour le général de Gaulle, la victoire française sur le terrain d’opération, grâce à la présence d’un million de soldats, et contrairement à l’avis des autres chefs militaires, va être transformée en victoire politique. Pour leur part, les négociateurs du FLN croient transformer une défaite militaire en victoire politique apparente accordée par le général président. De Gaulle a découvert que l’oligarchie du FLN qui négociait avec lui à Évian pendant dix-huit mois, est une équipe francophile incapable de couper le cordon ombilical avec son géniteur français. « Ils sont plus français que les français » aimait répéter de Gaulle à ses différents interlocuteurs. Un demi-siècle plus tard, il n’est pas étonnant que le général Nezzar, ancien caporal de l’armée française et ancien ministre de la défense algérien, déclare à qui veut l’entendre : « nous sommes les derniers Pieds-noirs ».

Feu d’artifice final

Entre la date mythique du 19 mars, faussement baptisée victoire pour les Algériens, et la date du 5 juillet, fête de l’indépendance, le nombre de victimes, des deux côtés, est estimé à des dizaines de milliers de Harkis et des milliers de Pieds-noirs et d’appelés du contingent. 80 % de toutes victimes confondues de la guerre d’après les associations des rapatriés, des appelés et des harkis. Entraîné dans une spirale de surenchère et de guerre de chiffres, le président désigné algérien actuel pour sa part surestime le nombre de victimes. Il les a évaluées à plus de 5 millions de personnes alors que la population algérienne ne dépassait pas 9 millions d’habitants en 1962 et près de 4 millions en 1830. Entre 1954 et 1962, le chiffre usuel se situe entre 500000 et 1,5 millions de victimes algériennes, en comptant ou non les victimes françaises selon les sources. Pour sa part, grand spécialiste de la guerre d’Algérie, journaliste, écrivain, Yves Courrière indique un bilan des victimes militaires et civiles européennes de 250000 morts sur l’ensemble du conflit. La guerre des mémoires se heurte à la manipulation des statistiques des uns et des autres. Souvent, pour des raisons financières et de démagogie à usage interne. À cet effet, l’instrumentalisation des événements de l’Algérie continuent à dégénérer et à peser sur les relations bilatérales entre les deux rives. Aucun des belligérants n’ose publier les archives en sa possession. Bien au contraire, une grande méfiance règne à chaque fois que l’on évoque la question mémorielle et celle des archives.

Historiquement, au 20e siècle, la France a manqué plusieurs occasions de transition qui auraient pu amener l’Algérie vers une autonomie apaisante et non se muer en ver solitaire déstabilisateur ou trublion permanent du Maghreb.

Étoile Nord Africaine, Nejma, Diamant et Asterix

Laïques comme islamiques, et ce depuis les années 20 (Étoile Nord Africaine et Oulémas), ont sollicité à la grande sœur France une mise à niveau avec la métropole notamment dans le domaine de l’éducation, de la santé et des droits civiques (voir les écrits d’Ibn Badis avant sa mort). Malgré le nationalisme maghrébin de Messali El Hadj et son dévouement pour l’Algérie et la sagesse de Abdelhamid Ibn Badis (Association des Oulamas), les deux courants idéologiquement antagoniques auraient préféré une émancipation graduelle et un accompagnement responsable de la France à une confrontation directe. Les personnalités politiques de l’époque savaient clairement que l’Algérie est composée des trois départements de constantinois, de l’algérois et de l’Oranie. C’est-à-dire la région du littoral (1300 kms) et les moyennes montagnes du Tell. Les manuels scolaires et les médias de l’époque l’enseignent et le prouvent. La géopolitique d’un pays hypertrophié défini par le général de Gaulle résulte de la volonté de conservation et de développement du complexe militaire d’essais d’armes spéciales de destruction massive et du centre d’essais spatial. La France procède à l’explosion de 17 bombes atomiques dont 12 après le cessez-le-feu. Dans le même sillage, en 1965, le lancement réussi de la première fusée-lanceur Diamant met en orbite le premier satellite français baptisé Asterix, un lanceur précurseur des actuelles fusées Ariane de dernière génération. Il a lieu après l’indépendance au Centre National d’Études Spatiales (CNES) de Hammaguir prés de Béchar opérationnel jusqu’en 1967. Il sera, plus tard, transféré à Gourou en Guyane tout comme les centres d’essais nucléaires seront transférés dans les Atolls en Polynésie française (Mururoa) qui vont à leur tour connaître le feu nucléaire.

Par ailleurs, initialement, aucune partie ne pensait empiéter sur les territoires de pays voisins. Fondamentalement, le découpage territorial colonial ne tient absolument pas compte de l’histoire profonde, spirituelle et réelle du Maghreb millénaire. À cet effet, toutes les frontières de l’Algérie actuelle sont factices et usurpatoires. L’obsession du général de Gaulle, volontariste et déterminé, est que la France soit une puissance nucléaire et spatiale « quoiqu’il en coûte », ce qui pourra se réaliser dans une relative harmonie avec la complicité des caporaux et quelques officiers algériens de la promotion Lacoste. Sur ce point, l’histoire va lui donner raison puisque ces essais seront couronnés de succès. Quant à eux, les caporaux-instructeurs et les officiers de l’armée des frontières, ils vont noyauter l’ALN à partir de la Tunisie et du Maroc en éradiquant ou en marginalisant à moyen terme la plupart des officiers issus des maquis. Les officiers de l’armée des frontières sont en majorité soit issus de l’école française, soit d’obédience proche du nassérisme ou du baathisme.

Après la deuxième guerre mondiale, tous les partis politiques algériens qui rêvaient de démocratie à la française ont été déçus et décimés par les nouveaux chefs du FLN qui croyaient à la force, à l’égorgement et à la méfiance vis à vis du voisin instaurés par une police politique redoutable. Leurs compatriotes du FLN historique qui aspiraient à la suprématie du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur, ont été éliminés, étranglés et assassinés (à l’exemple d’Abane Ramdane).

Mémoriel : du sang et des larmes

Le cessez-le-feu du 19 mars 1962 fut l’occasion d’un bain de sang et d’un flot continu de larmes. L’armée des frontières occupe, ainsi, l’Algérie grâce à la complicité de la France, des pays voisins et des Américains. Des milliers de maquisards de l’ALN de l’intérieur, au moins, sont tombés lors des accrochages avec l’armée des frontières venant d’Oujda (Maroc) et de Saguiet Sidi Youssef (Tunisie) qui avance aprés la prise de Tlemcen sur Alger. Le cessez-le-feu restera un leurre pour la majorité de la population au vu des massacres qui ont suivi. Particulièrement en Kabylie où la résistance (« la troisième armée ») contre les revenants de l’extérieur fut farouche. Les épisodes sanglants qu’à connu l’Algérie durant les deux premières années de l’indépendance sont occultés par l’historiographie officielle et les marchands de mémoire de tous bords.

Après 132 ans de conquête puis de colonisation active, la France a laissé, derrière elle, un ensemble de peuples, de langues et de régions que le FLN n’a pas réussi à unifier malgré la gouvernance de la peur et de la terreur et malgré sa propagande intensive. Elle n’a pas plus réussi à œuvrer au bien-être de la population. En fait, les français ont laissé en place un système hétéroclite dont la doctrine est la suprématie de l’Algérie sur ses voisins. Boumedienne disait « l’Algérie est le Japon de l’Afrique et la tête du Faucon dont les ailes sont le Maroc et la Tunisie ». Au final, avec le recul, nous comprenons que les Accords d’Évian n’auront pas permis l’instauration d’un État stable et solidaire mais l’installation d’une mafiocratie, une médiocratie et un ensemble de prédateurs tout azimut.

Pour survivre, la junte accède au pouvoir au moyen de putschs permanents et d’assassinats politiques. Le mensonge et la falsification systématiques constituent l’unique moyen de communication d’un parti unique et d’une presse aux ordres. Toutes les manifestations et les rebellions ou insurrections demandant une participation au pouvoir ont été matées par une répression massive n’épargnant ni les biens, ni les personnes. Le système de renseignement qui a créé l’ALN, qui elle-même a créé l’État, n’a jamais envisagé la création d’une quelconque démocratie. Dès lors, il semble que l’armée se sente investie d’un droit divin issu d’une légitimité historique usurpée avec la complicité et la bienveillance des puissances étrangères en vue du partage de la rente.

Décomposition et crise politique: une fatalité

En raison de la multitude d’événements, tragiques et sanglants, intervenus depuis 1962, selon plusieurs algérianistes, l’Algérie s’achemine progressivement vers une guerre civile, larvée et diffuse, qui ressemblerait à celles de la Syrie, de la Libye ou du Yémen. En effet, à la fin de l’ère de Bouteflika (5 mandats dont le dernier écourté par le Hirak et la prise en main des affaires de l’État par le Chef d’État-major de l’armée), elle connaît, d’ores et déjà, les prémisses d’une troisième guerre civile qui risque d’aboutir à l’implosion et à la fragmentation d’un territoire colonial. À partir du 19 mars 1962, l’agenda prend la forme d’un funeste calendrier jalonné de nombreux soulèvements populaires comme le printemps berbère ou octobre 88 et de révoltes sociales sporadiques ou localisées qui se répètent, se cumulent à chaque décennie dans l’ensemble du territoire. On assiste donc depuis plus d’un demi-siècle à une sédimentation du refus, une archéologie du rejet dans un pays sans consultation électorale plausible, crédible et honnête. Le Hirak du 22 février 2019 mobilisant des millions d’Algériens va encore plus déstabiliser le système militaire en l’obligeant à amputer ses membres atteint par la gangrène et à emprisonner nombre de ses chefs gérontocratiques militaires et civils.

Le cessez-le-feu du 19 mars 1962 n’a jamais été suivi d’un apaisement, d’un assainissement des rapports franco-algériens même soixante après encore moins d’une réconciliation franche, cordiale et durable. Ces relations changeantes sont devenues l’apanage, l’instrument politique et le passage obligé aussi bien des dirigeants algériens que français pour des raisons électoralistes pour les uns et populistes pour les autres. L’enfant gâté veut tuer le père du moins en parole vide de sens. Après le 19 mars, au pays clanique des règlements de compte, de la fraude, de l’exaction, de la corruption, une fatalité s’impose au citoyen lambda : ni stabilité, ni paix sociale, ni prospérité.

Concluons en précisant que le Sahara Central a été spolié de toute part. Le Saharien n’en récoltera que des miettes empoisonnées. Sur sa carte d’électeur, il est inscrit : « date et lieu de naissance inconnu ».

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