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M. Ben Salman vs S. Aljabri : Les grenouillages qui indisposent Washington et Riyad

Des responsables américains tentent d’intervenir dans un procès au Canada impliquant un ancien responsable des renseignements saoudiens, selon des documents vus par l’AFP, une démarche rare sur fond de bataille de pouvoir en Arabie saoudite qui menace d’exposer des secrets de Washington.

Saad Aljabri a longtemps été associé aux services américains sur des opérations secrètes de lutte antiterroriste. Cet ancien espion en chef saoudien est aujourd’hui empêtré dans une bataille juridique et politique avec le prince héritier Mohammed ben Salmane qui tente depuis son ascension en 2017 d’expurger les arènes du pouvoir de toute voix critique.
Dans un procès choc aux États-Unis l’année dernière, Saad Aljabri avait affirmé que l’homme fort d’Arabie saoudite, surnommé MBS, avait envoyé des agents pour le tuer au Canada. Il l’accuse aussi d’avoir emprisonné deux de ses enfants en Arabie saoudite.
Plusieurs entreprises saoudiennes se sont par la suite retournées contre S. Aljabri, l’accusant devant les tribunaux américains et canadiens d’avoir détourné des milliards à l’époque où il était en fonction.
Toutefois, les documents que sa défense souhaite présenter au procès contiennent des informations secrètes sur les États-Unis.
Dans une lettre vue par l’AFP, le procureur du département de la Justice américain a demandé à l’avocat de S. Aljabri de « reporter toute transmission de documents » jusqu’au 30 septembre pour laisser le temps à Washington d’envisager les mesures à prendre pour protéger ses secrets.
L’État américain bénéficie de la règle du « privilège des secrets d’État », qui permet de s’opposer à la divulgation d’informations jugées préjudiciables à la sécurité nationale du pays. Mais cette règle ne s’applique que devant les tribunaux US.« Les affaires impliquant les relations étrangères et la sécurité nationale des États-Unis (…) requièrent des jugements +délicats+ et +complexes+ », écrit le procureur Malcolm Ruby, dans sa lettre datée du 29 juin.
Washington ne prend « pas position » sur l’affaire, mais est préoccupé par la « protection d’informations sensibles liée à la sécurité nationale »,a-t-il souligné.
Selon lui, la divulgation des documents en question déclencheraient automatiquement l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, ce qui obligerait les avocats de S. Al-Jabiri à les expurger de toute information sensible.
Afin de prouver son innocence, S. Aljabri a demandé aux tribunaux canadiens d’examiner les finances de Sakab Saudi Holding, une des sociétés ayant porté plainte contre lui, et leur utilisation dans des programmes menés par plusieurs institutions américaines: la CIA (services de renseignements américains), l’Agence nationale de la sécurité et le département de la Défense.
Elizabeth Richards, avocate au département de la Justice canadien, et l’avocat de S. Aljabri n’ont pas répondu aux questions de l’AFP. Également contacté, M. Ruby a redirigé l’AFP vers le département de la Justice américain, qui s’est refusé à tout commentaire.
« C’est du jamais vu pour les tribunaux canadiens », assure à l’AFP sous couvert d’anonymat un avocat de Toronto au fait de l’affaire.
« Si l’article 38 peut temporairement empêcher la divulgation des secrets liés à la sécurité nationale américaine, il prive M. Al-Jabiri de l’utilisation de preuves essentielles pour sa défense », observe-t-il.
En avril, le département US de la Justice a laissé entendre qu’il souhaitait un règlement à l’amiable entre les parties saoudiennes en litige, mais ces dernières ne semblent pas y être disposées.
« M. Al-Jabiri tente de recourir à ces voies légales parce qu’il est coincé », avance à l’AFP une source proche des dirigeants saoudiens.
« C’est une tentative de dernier recours qui, je pense, ne fonctionnera pas », avec le risque de divulguer des secrets qui « mettront les États-Unis dans l’embarras ».Un responsable à Ryad avait affirmé début juillet que le « gouvernement saoudien n’était pas impliqué » dans les poursuites judiciaires au Canada.
Dimanche, Human Rights Watch (HRW) a exigé la libération immédiate des deux enfants de S. Al-Jabiri, Sarah et Omar.
Ils ont été respectivement condamnés en novembre 2020 à plus de six et neuf ans de prison pour « blanchiment d’argent » et « tentative de fuir » l’Arabie saoudite. Selon HRW, leur détention vise « uniquement à faire pression sur leur père ».
Niant toute malversation financière, un proche des Aljabri a rejeté les allégations et dénoncé une « vendetta aveugle ».
Selon cette source, les États-Unis feraient mieux de « négocier une résolution à l’amiable de cette vilaine querelle royale dans laquelle M. Aljabri et ses enfants sont empêtrés ».

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